Transition
écologique et "crise des gilets jaunes": E.Macron, ni décevant ni enthousiasmant, mais tellement loin de la méthode qui a fait la réussite de notre première transition énergétique de 1973 !
L’intervention du président Macron du 27 novembre 2018 est
fidèle à son péché mignon du fameux en
même temps qui avait caractérisé sa campagne présidentielle. Maintenir le
cap long terme de l’Accord de Paris pour le climat et en même temps répondre aux préoccupations de fin de mois des gilets
jaunes. Réduire nos émissions de CO2 et en même temps réduire notre production nucléaire.
Développer le solaire et l’éolien et en
même temps ne pas sortir du nucléaire ni le remettre en cause.
Pourquoi ne pas avoir saisi l’occasion du grand mouvement
populaire de mécontentement de ces jours derniers pour sortir enfin du
compromis, sortir du en même temps qui
irrite les uns sans satisfaire les autres ?
La taxe TICPE sur les carburants a été le déclencheur de la
grogne contre les dégradations du pouvoir d’achat. Inventées par les deux
précédents quinquennats de gauche et de droite depuis le Grenelle de
l’environnement de 2007, les taxes dites écologiques s’empilent et se
succèdent, avec, certes, des effets visibles sur nos paysages et nos toitures, mais
en même temps sans effets sur les
émissions de CO2 de la France, reparties à la hausse depuis 3 ans.
On se souvient pourtant que notre 1ère transition
énergétique des années 1973-2000 se fit sans recours aux taxes. Le programme électro-nucléaire
français fut entièrement financé par des emprunts industriels, remboursés par
les consommateurs d’électricité ; ces consommateurs que nous sommes avons même
depuis 40 ans prépayé les provisions pour charges futures qui attendent
sagement aujourd’hui, sur des fonds dédiés encadrés par la loi, d’être affectés
un jour aux démantèlements. Et tout cela en payant une électricité parmi les
moins chères d’Europe.
Après notre transition électrique (largement derrière nous
maintenant que 93% de notre électricité est décarbonée) l’heure est venue de nous
attaquer aujourd’hui aux transitions du transport (essence et gazole) d’une
part, et du chauffage (gaz et fuel) d’autre part, les deux sources de CO2 qui
subsistent désormais dans notre pays.
On l’a vu, la grogne des gilets jaunes n’est pas dirigée contre
l’écologie ni contre la transition énergétique. Elle est le rejet d’une
certaine politique environnementale qui semble préfèrer le « bâton » à
la « carotte » ; le rejet d’une écologie punitive, plutôt qu’incitative
et positive.
C’est aussi une grogne contre les iniquités de la
transition. Nombreux sont les français qui en ont assez que les mesures
incitatives profitent d’abord au capital, ou aux plus aisés, ou à ceux qui
spéculent sur les renouvelables et n’hésitent pas à revendre des capteurs et des
éoliennes achetés à l’étranger et subventionnés par nos taxes. Nombre de
« gilets jaunes », notamment en province, reprochent aux décideurs
parisiens de s’être coupés de la vie quotidienne des plus modestes.
Le premier ministre l’avait en partie compris, lorsqu’il a
tenté, au début du mouvement, de désamorcer la grogne en offrant des primes à
la conversion, des chèques énergie et des aides à la suppression du chauffage
au fuel. Mais ces mesures, utiles, viennent compliquer un peu plus le
mille-feuille des taxes et subventions, et ne remet pas suffisamment en cause ce
système de « bâtons » et de « carottes », ces dernières toujours
jugées insuffisantes ou inadaptées par ceux tenus de payer la taxe à la pompe
sans souvent pouvoir se permettre la dépense qui leur ferait bénéficier de la
prime à la conversion.
Alors que faire ? Et bien si on cessait simplement de
vouloir « mettre la charrue avant les bœufs » !
Notre monde agricole sait bien que taxes et subventions ne
remplacent pas celui qui laboure, sème et produit. L’expérience réussie de
notre transition électrique il y a quarante ans nous rappelle que pour réussir
aujourd’hui nos transitions du transport et du chauffage et creuser leur sillon
de façon efficace, équitable et durable, nos efforts devraient être tirés par une
vraie politique économique et industrielle volontariste en faveur du climat; les
taxes et les subventions n’ont jamais été le moteur durable d’un grand projet
national ; tout juste peuvent-elles l’accompagner, pas le tirer.
Par exemple : si la voiture électrique s’avère bien une
solution d’avenir pour les transports routiers d’un pays à l’électricité dé-carbonée
comme la France, eh bien, avant de taxer les carburants d’une main et de
distribuer de l’autre des chèques de conversion aux automobilistes en colère, commençons
par construire massivement des voitures électriques compétitives. Qu’attendons
nous ? Quel pays est mieux placé que le nôtre, avec notre électricité déjà
dé-carbonée, pour réussir avant les autres un grand plan national de transition
vers la voiture sans carbone ?
Autre exemple, les taxes. Comment ne pas comprendre la
colère d’un gilet jaune qui observe qu’une partie de la taxe TICPE sur les
carburants sert à payer certains mégawattheures photovoltaïques jusqu’à 630
euros (les obligations d’achat contractées en 2009 et garanties pour 20
ans aux producteurs), soit presque vingt fois plus cher que notre électricité
nucléaire selon la Cours des Comptes (33 euros /MWh, et moins encore pour
Fessenheim). Les automobilistes vont devoir financer ce prix exorbitant
jusqu’en 2029 ! Et pour beaucoup d’entre eux sans recevoir de contrepartie,
car tous ne sont pas de chanceux propriétaires de panneaux solaires qui peuvent
récupérer d’une main ce qu’ils dépensent de l’autre en taxes à la pompe.
Au lieu de reconduire les subventions aux éoliennes et aux
capteurs photovoltaïques importés (inefficaces, ruineuses, prématurées, et même
« double peine » car la CSPE de 22,5€/MWh, supprimée le 31 décembre
2015 au profit de la TICPE sur les carburants, figure toujours sur nos factures
électriques !), développons la recherche, l’industrie et des emplois
nationaux dans les renouvelables et le stockage d’électricité. Et surtout, commençons
par valoriser les atouts que nous possédons déjà dans les autres énergies
propres (notre nucléaire, notre hydraulique pour le stockage d’électricité,
notre forêt, notre biomasse et ses biocarburants, nos ressources géothermiques
ou l’aérothermie des pompes à chaleur et le solaire thermique).
Pour créer cette dynamique écologique notre pays n’aura
d’autre choix que de remettre des bœufs devant la charrue, seul moyen de tracer
enfin le sillon d’une transition écologique vertueuse, équitable et supportable
par les citoyens qui ne demandent qu’à être acteurs et pas seulement contribuables.
L’industrie de notre pays est moribonde :
réindustrialisons, et s’il le faut vraiment, alors, taxons mais de façon
justifiée, pour subventionner les entrepreneurs et artisans de nos réductions
de gaz à effet de serre et de la réduction de notre empreinte
environnementale ; ne taxons pas, comme trop souvent, pour le seul
bénéfice d’une minorité aisée de profiteurs, de spéculateurs ou d’importateurs.
A quand un grand projet national qui, comme le projet de
1973, crée vraiment de la valeur industrielle, environnementale et de
l’indépendance énergétique ? Un projet qui, comme en 1973, ne soit pas
basé sur des obligations d’achat financées par la taxation.
Pour les citoyens responsables, portant ou non un gilet
jaune, l’adhésion naitra non pas de la dissuasion d’une taxe ni de la
récompense d’une subvention mais d’abord de l’espoir d’œuvrer à une entreprise
collective utile, concrète, équitable et durable pour léguer à nos enfants une
planète plus belle.
Souhaitons que les discussions qui s’ouvrent sachent
dépasser les intérêts particuliers, les intérêts des lobbies, et même les modes
parfois au-dessus de nos moyens, pour privilégier l’intérêt général et celui
des plus modestes, avec la raison et le bon sens dont nos concitoyens et nos
administrations sont capables au pays de Descartes.
Jean-Luc Salanave
Spécialiste de l’énergie, professeur à l’Ecole Centrale Supélec
Membre de l’ONG
Sauvons le Climat
Automobiliste
et consommateur d’électricité