Que devra faire François de Rugy pour
réussir là où Nicolas Hulot et celles et ceux qui l’ont précédé ont
échoué ?
Jean-Luc Salanave : professeur à
l’Ecole Centrale, écologiste (membre de Sauvons le Climat et de l’AEPN),
scientifique et ancien industriel est interrogé par Bernard Lenail, directeur éditorial d'ARSCA. 6
octobre 2018
Le départ de Nicolas Hulot est-il
une preuve de plus que la politique est incapable de respecter ses objectifs en
matière d’écologie ?
JLS :
Ce serait une vue bien pessimiste et défaitiste et un manque de confiance dans
la politique et les institutions ! Non, ce départ est un aveu d’échec, non
pas de « la politique », mais de certaines des actions conduites par
Nicolas Hulot. En effet depuis 3 ans les émissions françaises de CO2 remontent.
Ce départ est selon moi une chance pour l’écologie et un nouveau départ avec
des objectifs ciblés et adaptés.
Pourtant la presse a qualifié,
quasi unanimement, la démission de Nicolas Hulot de « coup dur » pour
le Président Macron et sa politique écologique ?
Comme
l’a rappelé la presse, le projet écologique sur lequel a été élu Emmanuel
Macron est celui du « en même temps » ; c’est un projet qui
concilie économie et écologie. Ni Nicolas Hulot, ni ses prédécesseurs comme
Ségolène Royal, n’ont compris à quel point cet « en même temps » est un
impératif, qui conditionne la réussite de toute politique environnementale et
son acceptation par nos concitoyens. Nicolas Hulot a tenté de faire de
l’écologie aux dépens de l’économie, aux dépens des consommateurs et des
contribuables, au prix de mesures souvent chères et parfois peu efficaces, comme
le soutien financier massif au photovoltaïque et à l’éolien, au détriment de
l’intérêt financier d’une France déjà largement endettée et au détriment de nos
intérêts environnementaux à long terme.
Mais le développement des
renouvelables est bien l’objectif de nombre de pays signataires de l’accord de
Paris en faveur de la réduction des émissions de CO2 et du climat !
Si
l’on veut. Mais c’est précisément sur ce point que les politiques engagées par
Ségolène Royal et poursuivies par Nicolas Hulot ont été des échecs. L’objectif,
maintes fois rappelé par Emmanuel Macron et par l’accord de Paris sur le climat,
c’est de gagner la bataille contre les émissions de gaz à effet de serre et le
changement climatique, ce n’est pas de développer le photovoltaïque et l’éolien !
L’objectif c’est de réduire nos émissions de CO2, pas
de remplacer le nucléaire (qui n’en émet pas) par de l’éolien (qui n’en émet
pas moins), ou, pire, de remplacer le nucléaire par du photovoltaïque (qui émet
bien plus de CO2,
notamment tant que le silicium des cellules solaires restera fabriqué dans des
fours chauffés au charbon en Chine ou en Allemagne) ! Mille fois oui au
solaire et à l’éolien chaque fois qu’ils contribuent à réduire les émissions
liées aux combustions de gaz, d’essence ou de charbon. En revanche, non, non et
non s’ils contribuent à augmenter les émissions de CO2 comme c’est le cas en France (les indicateurs catastrophiques
depuis 2016 de notre Stratégie Nationale Bas carbone en témoignent) et comme
c’est le cas en Allemagne (dont le titanesque effort sur les renouvelables n’a
pas permis de supprimer une seule centrale à charbon et a même conduit à
construire de nouvelles centrales à gaz émettrices de CO2 !).
Nicolas Hulot se dit victime
des lobbies. Qu’en pensez-vous ?
Les
raisons qu’il a invoquées relatives au poids des lobbies de la chasse, de
l’agriculture ou du glyphosate semblent sincères mais la presse s’est
rapidement interrogée sur le rôle du soi-disant « lobby nucléaire ». Pour
moi ce lobby n’existe pas. Un lobby c’est un groupe de pression qui défend des
intérêts particuliers, en général financiers. EDF et ORANO sont propriété de l’Etat
et donc propriété des citoyens. Si quelqu’un a gagné de l’argent grâce au
nucléaire depuis 40 ans c’est bien chacun de nous, heureux consommateurs de
cette électricité nucléaire 80% moins chère que l’électricité allemande.
En
revanche, le SER (syndicat des énergies renouvelables) est un véritable lobby,
très puissant, qui s'enrichit aujourd'hui sur le
dos des consommateurs et des contribuables, en toute légalité, grâce aux
nouvelles taxes (CSPE), aux financements publics, et grâce au privilège
exorbitant de la priorité d'injection de son électricité sur le réseau (même
quand elle est inutile). Rien de tel pour le nucléaire français qui a été
entièrement financé par l'emprunt, remboursé par les consommateurs (qui par
ailleurs ont même pré-payé petit à petit, depuis 30 ans, la provision encadrée
par la loi pour financer demain le démantèlement des réacteurs).
Lors
de son départ, Nicolas Hulot ne s’est pas plaint ouvertement de ce lobby des
renouvelables mais chacun sait les pressions qu’il a subies; tout comme
Ségolène Royal quand elle a consenti à couvrir sa région Poitou Charente de
capteurs photovoltaïques et d’éoliennes, ou, plus tard, quand elle a fait
adopter la Loi de Transition Energétique de 2015, désastreuse pour notre pays
et pour l’environnement, car il s’agit d’une loi qui, sous des apparences
écologiques et anti-CO2, est
en réalité une loi anti-nucléaire, qui divise le pays et démolit les
performances environnementales exceptionnelles qui avaient fait de la France un
champion de la transition énergétique vingt ans avant les autres.
Quelles doivent-être selon
vous les priorités énergétiques de François de Rugy nouveau ministre de
l’environnement ?
Son
tableau de bord pour réussir est très simple. L’électricité en France n’est pas
une priorité écologique : car elle est déjà exemplaire et ne représente
que 6% de nos émissions de CO2 (dont
EDF n’est responsable qu’à hauteur de 2% car son parc nucléaire est bien plus
écologique que les centrales non nucléaires de ses petits concurrents implantés
sur notre territoire, qui sont eux les réels pollueurs en « CO2 électrique »).
Là
où la France est mauvais élève climatique, là où le politique doit placer les
priorités, c’est sur nos activités polluantes que sont le transport routier et le
chauffage non électrique (notamment gaz et fuel) qui représentent la plus
grosse part de nos émissions individuelles et collectives de CO2. Aux côtés de l’électricité hydraulique et
nucléaire, les renouvelables doivent certes prendre toute leur place, notamment
les renouvelables thermiques et non-intermittents, souvent
« oubliés », que sont la géothermie, l’aérothermie gratuite des
pompes à chaleur, le solaire thermique et la biomasse renouvelable, bien plus
efficaces que les renouvelables électrogènes qui fluctuent au gré du vent et du
soleil.
Comment selon vous un ministre
de l’environnement pourrait-il marquer l’histoire ?
Un
grand ministre de l’environnement sera celui qui ne se trompera pas de cible ;
qui surtout ne confondra pas la cible avec les moyens, avec les modes et avec
les intérêts immédiats des lobbies ; celui qui fera enfin légiférer notre
pays non plus pour imposer des moyens
(tant de % de nucléaire, tant de mètres
carrés de capteurs solaires, tant de milliers d’éoliennes, tant de chauffage au
gaz, tant de voitures électriques) mais pour fixer des objectifs de résultats
et une trajectoire de baisse de nos rejets. Pour nos petits-enfants l’objectif est que nous réduisions nos émissions de CO2 et
que nous préservions pour eux les ressources
vivantes et minérales de notre belle planète.