jeudi 1 août 2019

Dérèglement climatique: après les demi-mesures l’urgence de vraies solutions


Dérèglement climatique
Après les demi-mesures l’urgence de vraies solutions


Ne tirons pas sur Greta
Applaudie par les uns, critiquée par les autres, Greta Thunberg interpellant cet été les parlementaires français, puis le président Donald Trump et plus généralement les adultes sur le dérèglement climatique a au moins eu le mérite de nous rappeler notre coupable inefficacité climatique.

Pour les uns, la séance parlementaire du 23 juillet 2019 à Paris n’aura fait qu’« enfoncer des portes ouvertes », Greta et les autres intervenants se contentant de rabâcher une fois de plus le constat alarmiste des scientifiques.

Certes, ce constat est inquiétant: les émissions mondiales de CO2 ne sont toujours pas orientées à la baisse (elle avoisinent 40 milliards de tonnes par an) ; les experts prédisent un risque climatique majeur au-delà de 1,5°C ; le « crédit CO2 de l’humanité» avant la « catastrophe » est désormais inférieur à 400 milliards de tonnes, soit moins de 10 ans …

Puisque ces rappels de Greta Thunberg n’ont pas semblé inutiles, on se doit bien de saluer sa contribution à cet effort d’éducation des quelques retardataires de la prise de conscience climatique, et, s’il en était encore besoin, à l’information des parlementaires présents.

Mais le GIEC a été créé en 1988 et notre prise de conscience écologique s’est même développée depuis mai 1968. Combien de scientifiques et de « Gretas » ont déjà lancé ce même cri d’alerte depuis 50 ans ?

Que de temps perdu ! Ce n’est plus de « Gretas » et de lanceurs d’alerte dont l’humanité a urgemment besoin aujourd’hui, mais de réels artisans et bâtisseurs efficaces de la transition énergétique.

La seule question qui vaille désormais ce n’est plus celle de l’alerte mais celle des remèdes au dérèglement climatique. Or, une fois de plus, les solutions ont été cruellement absentes de la séance parlementaire du 23 juillet. Que devons-nous faire ? Qu’avons-nous fait ces dernières années pour que les résultait soient si décevants ? Allons-nous enfin agir efficacement ?

Trois champs de bataille climatique contre le carbone: électricité, transport et chauffage

Non sans malice certains ne se sont pas privés, lors de l’intervention de la jeune suédoise en juillet, de faire remarquer que cette jeune fille se mêlait de faire la leçon à la Suède et la France, deux pays qui sont précisément des modèles climatiques, et déjà en tête des pays développés les moins émetteurs de CO2.

En effet, il y a trente ans déjà que nos deux pays ont gagné la première des trois batailles climatiques : celle du verdissement de leur électricité, grâce à leurs programmes électro-nucléaires.

Les scientifiques reconnaissent d’ailleurs, et c’est déjà une bonne nouvelle pour rassurer les plus jeunes, qu’il suffirait de généraliser au reste du monde les modèles électriques vertueux de la France et de la Suède pour résoudre le problème climatique de la planète.

Mais cela ne doit pas faire oublier les autres « batailles » qui restent à mener contre le dérèglement climatique, celle des transports et celle du chauffage : il nous reste à éradiquer l’essence de nos véhicules et à nous débarrasser de nos chauffages carbonés (gaz naturel, fuel et charbon).

Et puisque l’électricité[1] est incontestablement appelée à se généraliser et à devenir demain le premier vecteur énergétique mondial notamment dans les pays en développement, il est des pièges dans lesquels il ne faut pas tomber.
En France par exemple, la réussite de notre première transition électrique il y a trente ans ne nous autorise pas pour autant certaines incohérences de notre transition actuelle.

En effet, ce que les spécialistes appellent notre « empreinte carbone » augmente depuis 4 ans. Pourquoi ? Parce que nous en délocalisons hypocritement de plus en plus (plus de la moitié) dans nos importations, dont les jeunes eux aussi sont responsables et friands (téléphones, jeux vidéo, produits informatiques et connectés, …): il faut savoir par exemple que les fours de fabrication de nos capteurs solaires importés de Chine sont nuisibles au climat car consommateurs de charbon ; nous importons aussi et importerons de plus en plus d’électricité charbon d’Allemagne lors des pointes hivernales, afin de compenser notre retard à renouveler notre parc nucléaire, et, demain, pour pallier l’arrêt des réacteurs de Fessenheim (contre toute logique climatique, économique et environnementale).

Résultat : chaque français émet chaque année environ 5 tonnes de CO2 en France, auxquelles s’ajoutent environ 7 tonnes de CO2 dues à nos importations, ce qui porte notre « empreinte CO2 » réelle sur la planète à environ 12 tonnes de CO2 par an[2], soit presque le double de celle d’un chinois.

Face à l’urgence écologique le temps presse. Et on tourne en rond.

Une vraie économie verte et solidaire est possible, qui profite au climat et au bien commun, et non plus aux seuls écolo-spéculateurs de la finance climatique

Depuis 10 ans les politiques climatiques européennes sont un échec. Certes elles nous ont fait dépenser des milliards, mais en oubliant d’exiger une garantie de résultat, résultat climatique s’entend.
Et en matière de dérèglement climatique il faut bien reconnaitre que « dépenser plus » est loin d’être synonyme de « polluer moins » !

Les politiques européennes de transition énergétique, trop systématiquement financiarisées, faites de taxes, de certificats d’émissions, d’obligations d’achat et de généreuses subventions ont surtout bénéficié au nouveau « capitalisme vert », aux lobbies des renouvelables et du gaz et à la spéculation financière, avec des effets très souvent décevants sur les émissions de CO2 et le climat.

En France il aura fallu la crise des « gilets jaunes » pour rappeler que le but ne doit pas être de taxer plus mais de polluer moins. Combien de décideurs politiques et de ministres de l’environnement ont cru ou croient encore que leur pouvoir serait proportionnel au montant des dépenses soi-disant « climatiques » qu’ils imposent aux contribuables !
Malheureusement, la tendance à privilégier les milliards dépensés plutôt que les tonnes de CO2 évitées ne semble pas faiblir comme en témoigne l’actualité récente.

Pour exemple la frénésie dépensière du Président de la Commission Environnement du Parlement Européen (un français) qui à peine nommé en juillet proposait déjà « qu’au moins 30% des dépenses du budget européen » soient consacrés à la transition écologique (Les Echos, 28/08/19)!

Autre exemple : comment ne pas être scandalisé par la révélation ce 23 août par la Commission Européenne que la France venait d’accorder un prix de rachat faramineux, 155 euros par mégawattheure (MWh) pendant vingt ans, au projet éolien off-shore de Saint-Brieuc ; soit pour le consommateur une électricité 5 fois plus chère que celle produite par la centrale nucléaire de Fessenheim (qu’on voudrait fermer !) ou 3 fois plus chère que le prix de marché moyen !

Cela signifie que les opérateurs de ce seul parc éolien de Saint-Brieuc (de seulement 500 MW, sans parler des autres parcs) prendront légalement dans la poche des contribuables plus de 4 milliards d’euros de subventions entre 2022 et 2042 ! De quoi faire enfler un peu plus les taxes sur les carburants et continuer à mobiliser les gilets jaunes ! D’autant que de tels cadeaux consentis à des opérateurs financiers et à leurs banques d’affaires sont totalement inutiles au climat car ne réduisant pas de la moindre tonne les émissions de CO2 de notre pays.

Notre Ministre de la transition écologique et solidaire (sic !) ne s’en est pas vantée à la presse, heureusement que l’Europe est plus transparente pour publier nos turpitudes écologiques (que malheureusement elle continue à valider).

Et ce n’est pas tout. En plus de ce prix de rachat garanti exorbitant de 155€/MWh, le contribuable devra aussi supporter les coûts de raccordement de ces éoliennes au continent, autre « cadeau » aux promoteurs, pris en charge par RTE afin de satisfaire la demande du président Macron que le prix facial exagéré soit « renégocié » à la baisse !

Comment le président de RTE (qui annonce vouloir faire dépenser 15 milliards supplémentaires d’ici 2020 aux consommateurs, notamment pour gérer l’intermittence des renouvelables) compte-t-il rassurer les gens honnêtes qui se demandent qui se cache et s’enrichit sur le dos des contribuables dans ces magouilles éoliennes (et photovoltaïques) hors de prix, et pourtant légales depuis que la loi LTECV de 2015 est devenue complice de ces scandales et spéculations climato-financières ?

Au cas où nous ne serions pas encore convaincus des incohérences de notre politique écologique et du fossé qui sépare les critères d’affectation des dépenses publiques de leur réelle efficacité climatique le gouvernement vient de nous livrer un autre exemple : celui des passoires thermiques.

Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique et solidaire, vient d’annoncer (JDD du 08/09/19) le déblocage sur la période 2020-2024 de 200 millions d’euros destinés à soutenir des travaux de rénovation thermique.

S'attaquer aux passoires thermiques pour réduire les besoins de chauffage et limiter ainsi les pollutions qui dérèglent le climat c'est bien, et il faut le faire.

Faut-il le faire avec de l'argent public, ou du moins est-ce la meilleure utilisation de l'argent public en faveur du climat ?

La réponse est non. Un rapide calcul permet de s’en convaincre (voir : https://salanave.blogspot.com/2019/09/la-guerre-aux-passoires-thermiques-cest.html)

Le résultat est édifiant ! Passer du chauffage gaz au chauffage électrique coûterait 10 fois moins cher par logement et ferait économiser 20 fois plus de CO2 que l’isolation des passoires thermiques annoncée par la Ministre (et 60 fois plus de CO2 avec des pompes à chaleur, mais là c’est plus cher).

Pourquoi ne le fait-on pas ? A quoi sert la très coûteuse ADEME censée conseiller nos dirigeants sur une transition énergétique qui devrait réduire nos émissions de CO2 plutôt que racketter les citoyens ?

La France a démontré il y a trente ans que le défi était relevable. L’exemple de l’hydraulique et du nucléaire sont reproductibles et peut-être transposables à d’autres énergies. Nos 58 réacteurs ont été financés sans taxer les citoyens, sur des emprunts et de l’autofinancement qui n’ont rien coûté au contribuable.

Tous les coûts de financement ont été remboursés à travers le prix du kWh par les consommateurs (pas par le contribuable). Ce financement a pourtant été indolore car nous bénéficions depuis trente ans des kWh parmi les moins chers d’Europe (près de deux fois moins chers qu’en  Allemagne).

Comment ce miracle a été possible ? Parce que tous les fondamentaux de ce choix historique étaient bons : économiques, techniques, environnementaux, sans parler de l’indépendance procurée. Est-ce le cas aujourd’hui du solaire et de l’éolien ? Non, sur aucun de ces quatre critères.

Une vraie économie verte et solidaire est possible, respectueuse des finances publiques et du contribuable, respectueuse du climat, des ressources naturelles et des jeunes générations. Ce n’est qu’une question d’analyse logique, de volonté politique et de motivation citoyenne.

Jean-Luc SALANAVE, le 22 Septembre 2019
Professeur à l’Ecole Centrale de Paris et à l’Institut Franco-Chinois de l’Energie à Zhuhai


[1] Avec une petite place pour l’hydrogène, qui n’est lui aussi qu’un vecteur énergétique, pas une énergie primaire
[2] Sources : Eurostat ; INSEE ; statistiques.developpement-durable.gouv.fr ; CITEPA