Résumé:
les prix de l'électricité n'ont pas attendu la guerre en Ukraine
pour grimper. C'est l'OBLIGATION D'ACHAT, ce privilège accordé à
l'éolien et au photovoltaïque depuis quinze ans, qui a fini par
détraquer le système électrique européen. Certes, en les
soustrayant ainsi provisoirement aux règles de la concurrence libre
et équitable tout en les subventionnant généreusement, on a permis
à ces deux énergies prometteuses de devenir plus compétitives et
de se développer. Mais ce développement à marche forcée des
renouvelables s'est accompagné en Europe d'une réduction des
capacités pilotables de production électrique, avec deux effets:
(i) l'un climatique (tantôt positif, lorsque cette réduction a fait
baisser les émissions de CO2; tantôt négatif dans les cas
inverses), (ii) l'autre effet étant la profonde dégradation du
marché de l'électricité et son cortège de dysfonctionnements:
volatilité, pénuries, risque de coupures, hausse des prix.
Voyons
plus précisément pourquoi...
L'obligation
d'achat c'est quoi ? C'est le (passe)droit, accordé aux
producteurs d'énergies renouvelables variables, de pouvoir injecter
leur électricité sur le réseau sans aucune restriction temporelle,
commerciale ou technique (au gré du soleil et de la météo,
indépendamment de la demande du marché et de l'état de stabilité
du réseau - en tension et fréquence).
En
pratique, cette électricité fatale est achetée par des opérateurs
désignés, comme EDF en France, et bénéficie d'un complément de
rémunération ou d'un tarif incitatif garanti. Des taxes citoyennes
sur les carburants et l'électricité - parfois dites "taxes
gilets jaunes" - remboursent ensuite EDF du trop payé.
A
l'inverse, les productions électriques pilotables sont tenues à
chaque instant de s'ajuster (à la baisse ou à la hausse) aux
demandes du marché et à celles des gestionnaires du réseau. Elles
assurent donc aujourd'hui une tâche supplémentaire ingrate: la
compensation des sautes d'humeur des productions intermittentes.
On
est bien loin du
principe de
l'équilibre
offre/demande,
libre et concurrentiel,
dont
l'Europe rêvait
pour garantir aux
consommateurs des
électrons disponibles
à tout moment et
à bas prix.
L'obligation
d'achat pour quoi faire ?
Rappelons
que c'est la lutte contre le réchauffement climatique qui
devait guider la "transition énergétique" vers un avenir
moins carboné (et plus électrifié). Mais l'Europe, n'échappant
pas aux pressions de puissants lobbies, a parfois confondu
l'objectif (émettre moins de CO2) et les moyens.
En
réservant l'obligation d'achat aux seules productions fatales
intermittentes, elle a provoqué le remplacement de capacités
électriques pilotables (ne bénéficiant pas de l'obligation
d'achat) par des non pilotables (solaires et éoliennes), avec des
effets mitigés sur le climat, et délétères sur le marché
électrique.
Comme
prévu, les effets climatiques sont positifs dans les pays où
photovoltaïque et éolien ont permis de réduire l'utilisation
des capacités électriques fossiles, émettrices de CO2.
Mais
dans d'autres pays les renouvelables se sont en partie substitués
au nucléaire (arrêt de
Fessenheim en France, sortie du nucléaire en Allemagne),
avec des conséquences alors contre-productives sur le climat, car
éolien et solaire sont malheureusement plus carbonés que le
nucléaire .
Mais
indépendamment de ces efficacités climatiques inégales,
l'obligation d'achat a surtout eu des conséquences graves sur le
marché électrique en modifiant la structure de l'offre.
Devenu
hybride, c'est à dire mêlant producteurs concurrentiels (qui
sont normalement la règle) et acteurs renouvelables prioritaires
et subventionnés, le marché européen est tombé petit à
petit en ruine, entraînant difficultés et parfois faillites chez
des compagnies électriques jadis florissantes.
Rappelons
comment se forme le prix de l'électricité
(graphique):
Contrairement
à une idée erronée, le prix européen de l'électricité n'est pas
"indexé" sur le gaz.Sur
un marché électrique sain et concurrentiel, pour un niveau donné
de la demande, le prix spot se forme à chaque instant en
empilant, par ordre de leurs mérites,
les moyens de production disponibles, en commençant par les moins
chers jusqu'à ce que l'injection soit égale au soutirage,
l'électricité n'étant pas stockable .
Or,
aujourd'hui cet ordre du mérite a dû céder la première place aux
productions "fatales" intermittentes dont la priorité
d'injection sert de "coupe file" en leur conférant un coût
marginal nul.
Résultat:
chaque fois qu'un coup de vent ou de soleil sur l'Europe inonde le
marché de ces kilowattheures "prioritaires", leur
obligation d'achat impose aux autres producteurs d'électricité
une obligation d'effacement équivalente.
Un
symptôme inédit de ce marché devenu fou a même fait son
apparition: les prix négatifs. Lorsque vent et soleil
conjuguent leurs excès en période de faible demande, les prix
spot peuvent
devenir négatifs, obligeant les producteurs pilotables à
arrêter leurs usines. Un objet dont le prix est négatif - ce qui
revient à payer pour s'en débarrasser, comme ces électrons
renouvelables inutiles, ne s'appelle-t il pas communément un déchet
?
Ainsi on a vu EDF obligé d’acheter à la Suisse l’effacement
d’une surproduction
(ça s'appelle céder le beurre et l'argent du beurre).
Le
parc renouvelable prenant de l'ampleur, ces effacements intempestifs
répétés ont dégradé la rentabilité des productions pilotables
et dissuadé les nouveaux investissements non aidés. Le
dysfonctionnement inverse est alors apparu: la hausse généralisée
des prix !
En
effet, quand les moyens de production pilotables bas carbone et bon
marché deviennent insuffisants (comme c'est le cas après dix ans de
dérèglements et de désinvestissements ),
le marché doit, pour satisfaire la demande (voir graphique), faire
appel aux installations non-rentables, ou aux plus polluantes (comme
le charbon à forte taxe carbone, ou le gaz dont le cours a flambé).
C'est donc le coût marginal élevé de ces centrales fossiles
d'appoint, celles qui fournissent les derniers électrons équilibrant
offre et demande, qui fixe le prix de marché de la totalité de la
tranche horaire.
Note:
si le marché affichait un prix plus bas, ces moyens d'appoint
produiraient à perte, ou ne seraient tout simplement pas démarrés,
au risque de provoquer le blackout redouté.
Depuis
fin 2020, le prix moyen du "marché à terme" a donc fini
par s'orienter à la hausse (plus de 400 euros/MWh pour un "ruban
2023 de consommation constante sur 12 mois "), tiré par un
marché spot au dessus de 1000 euros/MWh certains jours. Finies les
deux confortables décennies de prix inférieurs à 50 euros/MWh !
Amplifiés
par la crise du gaz russe, ces prix hauts jamais vus font aujourd'hui
le malheur des consommateurs ... mais la fortune des gaziers, et
aussi des traders français d’électricité ARENH (qui sont
autorisés à piller EDF et le consommateur français en arbitrant
entre l'ARENH et le marché).
La
France, un exemple caricatural de mauvaise gestion énergétique
nationale et européenne
En
une décennie notre pays a
abandonné 11 gigawatts de capacités électriques
thermiques pilotables (pourtant
précieuses
et mobilisables lors des
pointes hivernales),
passant de 92,2 GW
en 2011
à 81,5 GW
en 2021 (soit dix ans et 100 milliards d'euros de taxes et
subventions aux ENRi plus tard).
Résultat,
après avoir été le plus
gros exportateur mondial d'électricité pendant 20 ans, notre pays
subit une montée inexorable
des prix et une
pénurie d'électrons
pilotables
aux heures de pointes.
La
France ne
sait même plus maîtriser
ses
TRV - tarifs régulés de vente
; basée
hier sur
nos coûts de production stables et
bas, leur formule est
aujourd'hui en
partie indexée sur
le marché.
Notre
pays,
qui n'a pas connu de panne
depuis le 19 décembre 1978,
craint maintenant
des
coupures d'électricité,
et n'a d'autres solutions
que les importations
d'électricité et,
pire, les
effacements,
forcés ou négociés, qui
réduisent un peu plus la
production des entreprises
déjà au plus bas dans
le désert industriel qu'est devenu notre pays !
Aux
armes citoyens et consommateurs ! Demandons
l'abolition de ce privilège féodal qu'est l'obligation d'achat
! Sachons
rectifier nos erreurs et retrouver notre souveraineté électrique.
Éolien et photovoltaïque ont bénéficié durant quinze
ans de
l'obligation d'achat, ainsi que de
nos taxes et subventions (des centaines de milliards d'euros).
Il est temps désormais
de
placer ces
deux énergies prometteuses
dans le "grand bain" des réalités énergétiques, où
elles
doivent finir
de s'émanciper
pour apporter
enfin
aux citoyens
qui les ont financés
les
bénéfices attendus.
Pour
ça, demandons
un
MORATOIRE SUR L'OBLIGATION
D'ACHAT
.
Éolien
et photovoltaïque
en
bénéficient
depuis trop longtemps.
Rétablissons
une électricité durable, équitable et bon marché, dans un système
européen assaini où chaque source
d'électricité
se repositionnera, comme jadis, selon ses mérites techniques,
économiques et climatiques.
Certes les producteurs et fournisseurs photovoltaïques
et
éoliens devront se doter de moyens de stockage ou de production
pilotable complémentaires,
afin
offrir à leur clients (ou
à eux mêmes pour les auto-consommateurs) une
électricité qui satisfasse enfin la
demande
en temps et quantité .
Ce sera la contrepartie légitime
du trésor financier que les
contribuables leur
ont avancé
par leurs
taxes et
subventions.
Juste
retour
des efforts consentis par les producteurs
d'électricité décarbonée
pilotable,
c'est
le prix à payer
par
les opérateurs renouvelables pour devenir
à
leur tour durables,
utiles et
vertueux pour
nos économies et pour
le
climat.
Jean-Luc
Salanave, le 3 février 2023
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