Passoires thermiques et cohérence climatique
Au cas où nous ne serions pas encore convaincus des incohérences de notre
politique écologique et du fossé qui sépare les critères d’affectation des
dépenses publiques de leur réelle efficacité climatique le gouvernement vient
de nous livrer un nouvel exemple : celui des passoires thermiques.
Elisabeth Borne, ministre de la
Transition écologique et solidaire, vient d’annoncer (JDD du 08/09/19) le déblocage sur
la période 2020-2024 de 200 millions d’euros destinés à soutenir des travaux de
rénovation thermique.
S'attaquer aux passoires thermiques pour réduire les besoins de chauffage et limiter ainsi les pollutions qui dérèglent le climat c'est bien, et il faut le faire.
Faut-il le faire avec de l'argent
public, ou du moins est-ce la meilleure utilisation de l'argent public en
faveur du climat ? La réponse est non.
Petit calcul :
Avec 200 millions d’euros on peut
rénover thermiquement 10000 passoires thermiques en supposant une dépense de 20000€
par habitation (certaines des aides envisagées peuvent même atteindre 30000€).
En France le besoin d’énergie de
chauffage d’une habitation est en moyenne de 10000 kilowattheures thermiques (kWh) par
an (ce chiffre ne dépend pas du moyen de chauffage mais seulement des déperditions).
Ces déperditions sont d’environ: 30% par la toiture, 25% par les murs, 20%
par la ventilation, 15% par les vitrages, le reste par le plancher bas et les
ponts thermiques.
Les spécialistes estiment qu’avec des
travaux d’isolation efficaces on peut espérer gagner jusqu’à 50% de sa facture
énergétique (en améliorant plus que la toiture), soit en moyenne 5000 kWh par habitation,
et donc 50 millions de kWh/an pour 10000 « passoires thermiques »
rénovées.
Si on commençait par isoler, comme le
voudrait la logique, celles qui sont chauffées au gaz (qui émet tout de même 270
grammes de CO2 par kWh thermique - source ADEME) on gagnerait 13500 tonnes de
CO2/an (270 grammes x 50 millions de kWh). Déjà ça pourrait-on penser !
Mais avec les mêmes 200M€ on pourrait
aussi remplacer les chaudières gaz de 100000 habitations (soit dix fois plus) par
des chaudières électriques (2000€/chaudière).
Et cerise climatique sur le gâteau, en
plus de traiter 10 fois plus de passoires thermiques pour le même prix (toujours
200 M€ dans notre calcul), le bilan CO2 s’avère dans ce cas encore plus
réjouissant.
En effet, il suffit d’imposer (sans aucune
dépense de l’Etat) que cette électricité consommée en remplacement du gaz soit
d’origine nucléaire. Il suffirait pour cela que les consommateurs passent avec
EDF un contrat « 100% nucléaire » (après tout il y a bien des contrats
100% renouvelables !)
Et comme l’électricité nucléaire d’EDF
ne rejette que 4 grammes de CO2 par kWh (sur tout son cycle de vie incluant minerai,
enrichissement, traitement des déchets et démantèlements futurs – source
rapport d’activité EDF*) on économiserait 266000 tonnes de CO2 par an (270
moins 4 gCO2, multipliés par 10000kWh et par 100000 logements) contre seulement
13500 tonnes de CO2 avec le scénario d’isolation de notre gouvernement. Vingt
fois mieux !
Le résultat est édifiant ! Passer du chauffage
gaz au chauffage électrique coûterait 10 fois moins cher par logement et ferait
économiser 20 fois plus de CO2 que l’isolation des passoires thermiques
annoncée par la Ministre. Pourquoi ne le fait-on pas ? A quoi sert donc la
très coûteuse ADEME sensée conseiller nos dirigeants sur une transition
énergétique qui devrait viser à réduire nos émissions de CO2 plutôt qu’à
racketter les citoyens ?
Jean-Luc SALANAVE
19/09/2019
*note : sur l’ensemble de son « cycle
de vie » l’électricité nucléaire émet 12gCO2/kWh nucléaire en moyenne
mondiale selon le GIEC ; EDF n’émet que 4gCO2/kWh (voir bilans carbone EDF,
car en France l'enrichissement de l’uranium, le traitement des déchets, etc … sont
faits avec de l'électricité décarbonée). Source : https://www.edf.fr/groupe-edf/producteur-industriel/nucleaire/atouts/emissions-de-co-sub-2-sub