lundi 30 septembre 2024

Idées pour réduire les dépenses publiques: lettre au 1er Ministre et à la Ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la réduction des risques

Réduction des dépenses publiques:

lettre d'un citoyen, spécialiste et acteur de l'énergie, à Michel BARNIER et Agnès PANNIER-RUNACHER (le 30 septembre 2024):

https://drive.google.com/file/d/10IgxRxZ3p-4k-NU1kx35Bjlj1MbHixH1/view?usp=drive_link


Monsieur le Premier Ministre,

Madame la Ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques,

Permettez moi de porter à votre attention ces propositions, concernant notre politique énergétique, qui contribueraient à réduire rapidement de plusieurs milliards d'euros les dépenses de notre pays. Tout en ne nuisant pas à nos engagements climatiques, ces mesures permettraient aussi de réduire la pression exercée par certaines taxes (CSPE, TICFE) sur les contribuables et conduirait à une baisse des prix de l'électricité au bénéfice des entreprises et des consommateurs.

1. Prononcer un moratoire immédiat sur les aides, subventions, certificats "verts", garanties de rachat et compléments de rémunération dont bénéficient les projets photovoltaïques et éoliens, et laisser les lois de l'offre et de la demande ainsi que la taxe carbone réguler librement les investissements énergétiques futurs à compter de 2025.

La France a déjà engagé plus de 200 milliards d'euros (dont 121 Mds avant 2017 selon le rapport 2018 de la Cour des Comptes) en subventions, soutiens, tarifs de rachat garantis, compléments de rémunération, primes d'installation et cadeaux divers accordés à ces deux technologies appelées (à tort) "renouvelables". Ces aides ont fini par renchérir l'électricité et expliquent la hausse régulière des prix observée depuis 2009. Mais ces aides ont aussi permis au solaire et à l'éolien de devenir matures et performants, au point que la forte hausse des prix de marché européen de l'électricité permet désormais aux opérateurs, notamment éoliens, de faire des bénéfices (en partie reversés à l'Etat pour la partie dépassant le seuil du complément de rémunération de leur contrat d'aide). Le moment est donc propice pour mettre fin à 15 années d'aides publiques. Certes cela mettra un coup de frein au rythme de développement débridé des renouvelables hier subventionnés. Mais les effets seront vertueux pour nos dettes publique et climatique: réduction des dépenses budgétaires, réduction du déficit commercial (capteurs et éoliennes sont en effet importés) et amélioration de notre dette écologique par réduction de notre empreinte carbone (en effet, selon l'ADEME, les émissions de CO2 par kWh sont de 43,9 grammes pour le photovoltaïque, 14,1 grammes pour l'éolien, contre seulement 3,7 grammes pour le nucléaire; réalités qui suffisent à confirmer, s'il était encore besoin, l'aberration de la priorité accordée à ces renouvelables intermittents, obligeant le nucléaire à s'effacer, à chaque coup de vent ou de soleil, devant des kWh aléatoires et ... plus polluants).

2. Abandonner une grande partie des 200 milliards d'euros de dépenses programmées à partir de 2025 pour le raccordement aux réseaux de transport et de distribution des milliers de futures installations solaires et éoliennes que l'Europe nous suggère d'installer (100 milliards d'euros par RTE, 96 milliards d'euros par ENEDIS). Certes une partie (infime) de ces investissements est justifiée par le développement futur du parc nucléaire (qui n'a nécessité, faut-il le rappeler, que de 19 points de raccordement au réseau national de transport). Il conviendrait aussi d'interdire à RTE de continuer à offrir aux investisseurs éoliens en mer (souvent étrangers) la gratuité du raccordement au réseau aux frais du contribuable/consommateur français.

3. Mettre fin définitivement au système de l'ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire historique) qui, au final, a spolié les consommateurs français (en leur confisquant la "rente nucléaire" qu'ils ont financée pendant 40 ans sans aucun argent public). Ce système a par ailleurs coûté plus de 15 milliards d'euros de manque à gagner à EDF selon la Cour des Comptes.

L’Autorité de la Concurrence, dressant le bilan des "objectifs assignés à l’ARENH, à savoir l’émergence de la concurrence à l’amont et la baisse significative des prix de détail en aval", constate qu' "aucun de ces objectifs n’a été atteint". Ce dispositif, mis en place par la France sous pression de Bruxelles en contrepartie du maintien du TRV (tarif régulé de vente), a contraint EDF à vendre à des "concurrents" artificiels plus du quart de sa production électronucléaire à prix coûtant pendant 15 ans. Des dizaines de nouveaux "fournisseurs alternatifs" ont ainsi pu prendre à EDF plusieurs millions de clients, mais les milliards d'euros qu'ils ont ainsi encaissés n'ont pas été utilisés pour financer, comme prévu, des capacités électriques concurrentes. Si les 100 térawattheures à 42 €/MWh de l'ARENH avaient plutôt été proposés à nos PME et à nos industriels nombre de faillites et délocalisations causées par la flambée des factures électriques auraient été évitées.

4. Accélérer le projet national de construction de 14 nouveaux réacteurs nucléaires.

On ne peut pas "en même temps" prétendre que le nucléaire ne sera pas prêt pour assurer notre neutralité carbone en 2050 et tolérer les lourdeurs décisionnelles et administratives qui le retardent. Deux ans suffisaient pour instruire un dossier de sûreté de construction en 1980, il faut cinq ans aujourd'hui, sans que ce ne soit justifié au vu de l'excellence de notre industrie (aucune "victime nucléaire" en quarante ans d'exploitation et de gestion exemplaire de ses déchets). Notre dérive vers la "sûreté quoi qu'il en coûte" doit revenir à l'approche "coûts/bénéfices de sûreté" pratiquée partout dans le monde.

Ce programme de renouvellement nucléaire est une source potentielle d'immenses économies; les 200 milliards d'euros dépensés pour les renouvelables ces dernières années (pour un bénéfice climatique quasi nul, et un doublement en 15 ans du prix de nos factures électriques) aurait permis la construction de plus de 25 réacteurs EPR2 (ou bien l'importation de leurs équivalents chinois comme nous le faisons pour les capteurs solaires) et aurait garanti pour longtemps notre souveraineté énergétique et notre excellence climatique.

5. Recentrer notre politique énergétique sur quatre objectifs prioritaires: (i) souveraineté énergétique (limiter nos importations de pétrole, gaz, capteurs solaires, éoliennes), (ii) réduction du CO2 ("décarboné" avant "renouvelable"), (iii) prix bas (retrouver ceux d'hier afin de redonner du pouvoir d'achat aux consommateurs et un élan à notre réindustrialisation, (iv) préservation des ressources naturelles (privilégier les technologies durables, les moins consommatrices en matériaux, métaux et ressources).

Pour cela, PNC-France (patrimoine nucléaire et climat) propose de lancer sans tarder une étude d’impact économique et technique (qui pourrait être confiée à L’OPECST avec l’appui des Académies des sciences et des technologies) pour que les adoptions prochaines de la PPE3 (programmation pluriannuelle de l'énergie) et de la SNBC (stratégie nationale bas carbone) reposent sur des bases rationnelles, à l'exclusion des modes (parfois dictées par Bruxelles) et des idéologies, afin de limiter les dépenses publiques aux quatre objectifs cités ci-dessus.

6. Réduire voire supprimer les agences nationales et administrations inefficaces ou inutiles.

Parmi les centaines d'agences publiques au service de l'Etat certaines (comme l'ADEME, le CESE, ...) sont montrées du doigt comme étant ou étant devenues des centres de dépenses sans grande valeur ajoutée pour la communauté et les politiques nationales. Mener un audit sur les sources d'économies réalisables sur les quelques 80 milliards d'euros liés au fonctionnement de ces agences, sans exclure la reprise de tout ou partie de leurs missions, le cas échant, par les administrations de tutelle.

Vous remerciant, Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre, de l’attention que vous voudrez bien porter à mon courrier, je vous prie de croire en l’expression citoyenne de ma haute considération. 

Jean-Luc Salanave, 30/09/2024


ANNEXE: mon CV

J'appartiens à la génération qui dans les années 1970-1980 a rêvé d'une France capable de devenir indépendante et florissante, de s'émanciper du pétrole (crise de 1973) et de fournir à chaque citoyen et à notre économie une électricité abondante, bon marché, équitable, respectueuse des ressources naturelles, sûre et exemplaire avant l'heure pour le climat et l'environnement. Nous avons collectivement réalisé ce rêve et en avons profité durant 30 ans.

Je suis français, scientifique, actuellement professeur à l'école CentraleSupelec, ancien industriel, spécialiste de la transition énergétique. Je suis expert et parfois porte-parole au sein d'associations de défense de l'environnement (PNC-France présidé par Bernard Accoyer ancien Président de l'Assemblée Nationale, Sauvons le Climat, UARGA, AEPN, FED, Voix du Nucléaire). Je soutiens les scénarios énergétiques NégaTep et TerraWater (tout en critiquant le scénario NégaWatt de l'Ademe). J'ai été relecteur du rapport spécial 2018 du GIEC sur le climat. J'ai été un acteur du programme nucléaire. J'ai fréquenté le marché électrique pour le compte du plus gros consommateur européen (EURODIF). J'ai participé au programme international de recherche sur la fusion de l’hydrogène. Je possède un master d’astrophysique (1987, USA) et suis diplômé de l’École Centrale de Paris (1974).

Sur le thème du présent courrier, j'ai eu l'honneur d'être auditionné (audition privée) début 2024 par la Commission d'enquête sénatoriale sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050 (président Frank Montaugé, rapporteur Vincent Delahaye).

Je demeure à disposition pour toute contribution que vous jugeriez utile. Jean-Luc Salanave


lundi 15 avril 2024

Comment l'Etat fédéral allemand finance le sabotage de la filière nucléaire française ?

 On se demande parfois d'où vient le financement des antinucléaires. Enfin, la France accepte d'ouvrir les yeux sur l'ingérence antinucléaire Allemande.


Ce "rapport d'alerte" de l'EGE (Ecole de Guerre Economique) démontre, s'il en était encore besoin, comment les 690 millions d'euros versés en 2023 par l'Etat Fédéral Allemand à ses puissantes "fondations" (telles que Heinrich Böll et Rosa Luxemburg), servent à financer les 37 associations antinucléaires françaises du réseau Action Climat (dont Greenpeace France, Les Amis de la Terre, Sortir du Nucléaire, Négawatt - qui a infiltré l' ADEME) ainsi que EELV, afin de mener des actions de dénigrement organisé ("sabotage") de la filière nucléaire française, de désinformation de l'opinion et de lobbying anti-nucléaire (en France, à la Commission et au Parlement européens, ainsi qu'à l'étranger - comme par exemple le tout récent French bashing mensonger de la Criirad sur l'uranium naturel du Niger juste avant le coup d'Etat de cet été).


vendredi 22 mars 2024

Baisse de 4,8% des émissions de CO2 de la France en 2023: c'est bien, MAIS ...

Effectivement, nous pouvons nous réjouir, aux cotés du Ministre Christophe Béchu, de la "baisse inédite" de 4,8% des émissions de gaz à effet de serre en France en 2023, mais ne tombons pas dans l'autosatisfaction excessive et l'hypocrisie. Comme le rappelle La Croix du 22 mars 2024 il y a en effet des "raisons conjoncturelles" (notre activité productrice en berne) et, il y a surtout que ce chiffre en trompe l’œil "ne prends pas en compte les émissions importées". Or la France, qui continue à s'enfoncer dans la dette et à creuser son déficit commercial par son incapacité à produire les biens qu'elle consomme, importe toujours plus de produits carbonés: les capteurs solaires chinois à forte empreinte CO2 [56gCO2/kWh contre 4gCO2/kWh pour le nucléaire], l'électricité charbon d'Allemagne pour combler notre déficit électrique des soirées d'hiver, le polluant gaz naturel liquéfié américain, etc. Résultat: si, par nos émissions nationales, un français moyen pollue un peu moins qu'un chinois, l'empreinte carbone réelle d'un français, une fois corrigée de notre solde import/export, est supérieure (d'environ 1 tonne de CO2 par an) à celle d'un chinois moyen. Nous avons donc encore du "pain sur la planche" climatique, car le dérèglement n'est pas que la faute des autres. Retrouvons au plus vite une souveraineté industrielle et énergétique décarbonée que nous avons collectivement laissée saborder.

Jean-Luc Salanave

Article partiellement publié par La Croix le 15/04/2024 (sans la mention aux capteurs chinois ni à l'électricité allemande !)


dimanche 12 novembre 2023

(suite) Dix raisons pour la France de sortir du marché européen de l'électricité: réponses des cabinets de E. Macron, B. Lemaire et A. Pannier-Runacher

La tribune EN OBJET a été adressée par courrier, le 10 octobre 2023, au Président Emmanuel Macron, ainsi qu'au Ministre de l'Economie Bruno Lemaire et à la Ministre de la Transition Energétique Agnès Pannier-Runacher.

Voici les réponses que nous avons reçues:

Réponse de la Présidence de la République:
"Monsieur Emmanuel MACRON, très attentif aux préoccupations que vous
exprimez, m'a confié le soin de vous assurer qu'il en a bien été pris connaissance. Aussi n'ai-je pas manqué de signaler votre démarche à Monsieur le ministre de
l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et à
Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires."

Réponse du Ministère de l'Economie:
"Le ministre a bien pris connaissance de ces suggestions et il vous remercie de l'en avoir rendu destinataire. Toutefois, ce dossier entrant dans les attributions de la ministre de la Transition énergétique, votre courrier a été transmis au cabinet de Mme Agnès Pannier-Runacher en la priant de l'étudier et de vous tenir directement informé de la suite qui pourra lui être réservée."

Réponse de la Ministère de la Transition Energétique:
"Vous avez bien voulu faire part à Mme Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de la Transition énergétique, de vos propositions sur la sortie de la France du marché européen de l'électricité.
La ministre a pris connaissance de votre correspondance. Elle m'a demandé de la transmettre à la directrice générale de l'énergie et du climat, pour que vos idées puissent alimenter la réflexion sur ce sujet.
Elle m'a par ailleurs chargé de vous indiquer qu'elle ne partage pas l'objectif de sortie du marché européen de l'électricité. C'est pour cette raison qu'elle a obtenu le mardi 17 octobre un accord des 27 États membres de l'Union européenne conduisant à sa réforme au bénéfice notamment de l'énergie nucléaire française. Elle vous invite à en prendre connaissance."


En attendant, les dysfonctionnement du marché électrique européen ne sont pas réglés et leurs causes principales ne sont pas supprimées.
Bruno Lemaire, s'exprimant sur l'éventualité d'une sortie de la France du marché unique européen de l'électricité a lui aussi affiché son opposition, en arguant que notre pays ne pouvait pas se passer des interconnexions avec ses voisins (!) ... méconnaissant ainsi que les interconnexions et les échanges électriques transfrontaliers existaient et fonctionnaient de façon satisfaisante bien avant l'ouverture du marché unique européen. Il a par ailleurs confirmé sa position en faveur de la "concurrence à tout prix" et du maintien du soutien artificiel aux fournisseurs électriques alternatifs au détriment (c'est un fait) d'EDF et des consommateurs français, domestiques et industriels, qui, eux aussi, auraient pu légitimement prétendre à bénéficier des 42€ de l'ARENH plutôt que de voir ce cadeau enrichir des spéculateurs et des financiers pour satisfaire Bruxelles.
Il semble aujourd'hui que la priorité pour nos dirigeants ne soient plus de réduire les prix pour le consommateur, objet initial du marché électrique européen de la concurrence, mais plutôt de forcer les énergies renouvelables dans le système électrique à coup de privilèges et de priorités d'injection, au motif qu'elles sont décarbonées, sans reconnaitre, après une décennie de flambée des prix, que le coût exorbitant de leur intermittence disqualifie le système actuel des règles de marché choisies par l'Europe.
L'idée de la sortie du marché électrique européen, ou de sa réforme en profondeur, va, à n'en point douter, continuer à être portée par de nombreux citoyens et acteurs économiques et sociétaux, comme le CSEC d'EDF (comité social et économique central), la FED (fédération environnement durable), ... Faisons en sorte que ce thème du marché électrique et du retour à des prix bas soit au centre des élections européennes de 2024.

JLS le 12/11/23
 

lundi 9 octobre 2023

Dix raisons pour la France de sortir du marché européen de l'électricité (tribune J-L Salanave, qui sera publiée par UARGA le 10/10/2023)

 Dix raisons pour la France de sortir du marché européen de l'électricité

inspir_illustr_CFEL'énergie, dont l'électricité décarbonée sera demain la composante majeure, constitue le sang de toute économie et la clé du développement durable et équitable de nos sociétés.
A l'approche des élections de 2024 l'Europe doit tirer les leçons du dysfonctionnement de son marché électrique, et le réformer pour qu'il accompagne pleinement la transition écologique, économique et sociale de l'Union et de chacun de ses États souverains. Vu de France, où des voix s'élèvent pour que soient rétablis les avantages économiques, sociaux et climatiques de son système électrique historique, le bilan de vingt ans de "concurrence européenne" est très négatif. Non exhaustive, pas plus que les solutions qu'elle suggère, voici une liste de dix raisons de sortir du marché électrique européen et/ou de le réformer :

 

1. La hausse des prix est incontrôlée : le marché concurrentiel de l'électricité, issu des directives européennes de 1996, 2003, 2009 et 2019 avait pour ambition de faire bénéficier les consommateurs européens de prix bas et compétitifs en favorisant la concurrence entre les fournisseurs. C'est un échec. Ce marché a généré une hausse régulière et significative des prix, provocant, notamment en France, faillites d'entreprises et précarité pour les consommateurs domestiques (la hausse moyenne atteint 80% en 15 ans pour les ménages français)[1].

 

2. Le marché est instable : outre son renchérissement, le marché électrique européen a échoué à fournir aux économies européennes stabilité, sécurité et visibilité énergétiques. En décourageant l'investissement dans des moyens de production fiables et pilotables, il a généré un risque accru de pénurie, de coupures électriques ainsi qu'une hyper-volatilité des prix. Loin de la relative stabilité qui prévalait antérieurement, les prix horaires du marché peuvent désormais devenir négatifs en cas de productions renouvelables importantes, ou rebondir le même jour à plusieurs centaines d'euros/MWh.

 

3. L'Europe électrique a contraint de façon délétère les atouts spécifiques des États : afin de protéger leurs consommateurs des aléas d'un marché incertain, certains États ont négocié avec la Commission européenne des conditions dérogatoires, en échange desquelles la Commission a exigé des contreparties. Si la France n'a pas (encore) refusé d'ouvrir ses concessions hydrauliques à la concurrence (à la différence d'autres États) elle a en revanche tenu à conserver des tarifs réglementés (cf. TRV au § 4) et proposé en échange de créer une concurrence artificielle face à EDF (cf. ARENH au § 5). Malgré ces mesures et la profonde réforme [2] de son système électrique pour l'adapter au marché européen, la France a vu se dégrader tous ses atouts historiques, à savoir: son électricité à bas prix, atout majeur pour son industrie, pour les particuliers et pour ses voisins européens (France 1er pays exportateur mondial d'électricité), son indépendance et sa souveraineté (aujourd'hui contrainte d'importer éoliennes et capteurs solaires), la faible empreinte carbone de son électricité en avance de 30 ans (importations électriques européennes carbonées aujourd'hui).

 

4. Le marché européen a entraîné dans sa hausse les tarifs régulés des États : parmi les dispositions dérogatoires à la règle européenne de libre concurrence (cf. point 3), plusieurs États, dont la France, ont tenu à conserver des Tarifs Régulés de Vente (TRV) pour protéger les consommateurs domestiques et les petites entreprises. Malheureusement, contrainte en contrepartie de préserver des marges aux fournisseurs alternatifs s'approvisionnant à la fois sur l'ARENH et sur le marché, la France a dû dénaturer ses tarifs en les indexant en partie sur les prix de marché européen. Résultat, ces TRV n'ont pu empêcher les consommateurs français restés fidèles aux tarifs EDF de voir eux aussi leur facture électrique exploser (de 71% en 10 ans) [3].

 

5. L'ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire historique) est un échec : c'est le dispositif proposé en contrepartie du maintien du TRV et de la position dominante d'EDF (cf. § 3). Il prévoit la vente à prix coûtant (42€/MWh) de plus du quart de la production nucléaire d'EDF (100 TWh) à ses concurrents pour leur permettre de faire des offres au-dessous du TRV. Bilan : l'ARENH aura créé plusieurs dizaines de nouveaux "fournisseurs alternatifs", qui ont détourné d'EDF plusieurs millions de clients, mais qui n'ont pas pour la grande majorité d’entre eux, utilisé les milliards d'euros ainsi encaissés pour financer de nouveaux outils industriels de production électrique pour compléter le parc de production du pays. La loi Nome de 2010 imposait pourtant que tout fournisseur, historique ou « alternatif », dispose de capacités de production et d'effacement suffisantes pour assurer à tout moment le bon équilibre entre offre et demande d’électricité. L'ARENH est un échec économique, financier et industriel. Selon la Cour des Comptes il a déjà coûté au moins 7 milliards d'euros de « manque à gagner » à EDF sur 2011-2021, auxquels s'ajoutent 8 milliards d'euros de pertes causées par les 20 TWh supplémentaires imposés par Bercy à EDF juste avant la présidentielle de 2022. L’Autorité de la Concurrence, dressant le bilan des "objectifs assignés à l’ARENH, à savoir l’émergence de la concurrence à l’amont et la baisse significative des prix de détail en aval", constate : "Or aucun de ces objectifs n’a été atteint"[4].

 

6. La déroute du marché a imposé aux États des interventions internes coûteuses : la flambée des prix électriques n’ayant pu être empêchée ni par le marché concurrentiel européen, ni par les TRV, ni par l’ARENH, la France a dû recourir à des interventions supplémentaires comme des chèques énergie et des boucliers tarifaires [5]Cette escalade du "quoi qu'il en coûte" a atténué la hausse des factures, mais sans parvenir à l'enrayer. Elle aura coûté plusieurs milliards aux contribuables ... mais sans s'attaquer aux causes. Par ailleurs, en amont, pour favoriser l'implantation (chère à Bruxelles) de producteurs étrangers en France, l’Exécutif ira même jusqu'à  proposer à certains des cadeaux anti-concurrentiels comme la gratuité du raccordement au réseau électrique afin d'abaisser facialement leurs coûts de production prohibitifs (exemple : parc éolien offshore de Saint Brieuc).

 

7. La Commission Européenne elle même reconnaît l'échec du marché européen : son étude d'octobre 2020, sur l’évolution des prix de l’électricité de 2008 à 2019 [6], conclut que les situations des ménages et de l'industrie européenne se sont dégradées par rapport à celles observées hors UE. Cet aveu d'échec confirme la prédiction de l'un des meilleurs spécialistes des systèmes électriques, Marcel Boiteux (1922-2023) [7], pour qui la libre formation des prix de l'électricité (un bien qui ne se stocke pas) par le seul équilibre commercial offre/demande ne peut fonctionner ; l'inertie commerciale conduirait en effet à dépasser les limites supportables des réseaux (fréquence, tension), causant des pannes. Cette inadaptation du marché électrique européen aux règles de formation des prix d'un marché concurrentiel classique a été encore amplifiée lorsqu'aux nécessaires injections/soutirages de réglage pilotées par les gestionnaires du réseau (hors transactions commerciales offre/demande) sont venues s'ajouter des injections intermittentes non sollicitées, sans lien avec la consommation (cf. §8).

 

8. Les privilèges accordés au photovoltaïque et à l'éolien sont la première cause de dysfonctionnement du marché électrique européen : ces privilèges anti-concurrentiels (obligation d'achat, priorité d'injection) accordés aux producteurs photovoltaïques et éoliens (sans les accorder, par exemple, à la production nucléaire, pourtant moins émettrice de CO2 [8]), et encouragée par le Traité Euratom) sont la cause majeure des dysfonctionnements (volatilité et hausse des prix, pénuries, risque de coupures, dépendance aux fossiles). En imposant de faire cohabiter depuis 15 ans des acteurs concurrentiels et des acteurs subventionnés l'Europe a enfreint trop longtemps les règles de la libre concurrence, désorganisé le marché, découragé l'investissement dans les moyens pilotables (sommés de s'effacer à chaque coup de vent ou de soleil, indépendamment de la demande de leurs propres clients) et au final fait flamber les prix pour les consommateurs, ainsi que les taxes pour les contribuables (bien avant la crise gazière russo-ukrainienne). La solution : mettre fin, progressivement mais rapidement, à la priorité d'injection et à l'obligation d'achat des MWh solaires et éoliens pour qu'émerge enfin une offre renouvelable mature et durable, "vendable à un consommateur final", une offre qui agrège dans un même "ruban électrique" des électrons intermittents et/ou des électrons stockés et/ou des électrons de backup pilotables, à un coût marginal non plus nul, mais incluant les externalités (coûts indirects) induites par ces énergies nouvelles.

 

9. La sortie de la France du marché européen de l'électricité n'interdirait pas  les échanges transfrontaliers (contrairement à certaines affirmations), ni la solidarité entre pays européens, ni les contrats électriques de gré à gré entre producteurs et industriels, nationaux ou européens: en effet ces échanges existaient avant la création du marché. Les États-Unis ont fait la démonstration que peuvent coexister, et pratiquer des échanges, des acteurs ou des États dérégulés (sous libre concurrence des prix) et régulés (avec des tarifs, voire des monopoles électriques intégrant production, distribution et commercialisation) [9]. Revenir à une EDF intégrée, proposant des tarifs et des contrats long terme basés sur ses coûts de revient, ne serait pas illégal au regard de la concurrence (la vente au-dessous du prix de revient est illégale). Il suffirait que la France accepte de soumettre la loyauté des comptes d'EDF au contrôle d'une autorité indépendante ou de la Commission Européenne.

 

10. En voulant faire de son système électrique non seulement un marché mais aussi un instrument de la lutte contre le dérèglement climatique, l'Europe a encouragé le développement débridé du solaire et de l'éolien, qui pour la France est contre-productif. En effet, son l'électricité nucléaire déjà décarbonée n'avait aucun bénéfice ni aucune complémentarité à attendre des renouvelables intermittents. Au final, en France, solaire et éolien sont (i) contre-productifs économiquement (après 15 ans d'aides, leur non-rentabilité nécessité toujours des subventions - taxes CSPE et TICPE, dont n'a jamais eu besoin le nucléaire), (ii) anti-écologiques (ils sont responsables de rejets de CO2 supérieurs à ceux du nucléaire [8]), (iii) sources de dépendance énergétique accrue (ils sont importés), (iv) consommateurs de plus de surfaces (et donc de biodiversité) et de plus de ressources naturelles (métaux critiques, béton), (v) injustes socialement (bénéficiant à des particuliers aisés et à la finance dite "verte", mais financés par des taxes imposées à tous), (vi) et enfin, injustes commercialement par la distorsion de concurrence que leurs productions prioritaires imposent au nucléaire en le contraignant à s'effacer à chaque coup de vent ou de soleil, au détriment de son facteur de charge, de sa rentabilité et donc de ses coûts, au détriment aussi de ceux qui parmi ses clients du moment sont attachés à une "garantie d'origine nucléaire" de leurs électrons !

 

En conclusion:  la vocation d'un marché concurrentiel est d'adapter une offre à une demande, au meilleur prix. Or, prétextant des objectifs climatiques louables (et des obligations de moyens discutables) l'Europe a demandé l'inverse au marché électrique européen, à savoir, adapter la demande à des offres intempestives d'électrons renouvelables intermittents. Ce marché doit être réformé, son offre doit être normalisée pour rétablir une concurrence loyale entre tous les fournisseurs et toutes les technologies de production, selon leurs seuls mérites respectifs. Chaque État membre devra alors être libre d'adopter les règles de ce nouveau marché, ou bien d'en sortir (service public de l'électricité, tarifs régulés basés sur les coûts de revient du producteur national), ou encore d'en sortir partiellement (en laissant aux ménages et entreprises le choix entre tarifs régulés et prix de marché). Les échanges transfrontaliers, indispensables, devront sans doute eux aussi voir leurs règles adaptées à ce nouveau marché, pour permettre la solidarité européenne et satisfaire les besoins des consommateurs et de nos économies.


Jean-Luc Salanave, le 9 octobre 2023

 


[1] En 15 ans, de 2007 à 2022, le prix de l'électricité pour les ménages français a augmenté en moyenne de 80%, passant de 115 à 207 €/MWh TTC en euros courants (source: statistiques.developpement-durable.gouv.fr, SDES)

[2] La séparation de RTE en 2000 puis la Loi NOME de 2010 (nouvelle organisation du marché de l'électricité) mettent fin à EDF comme opérateur national historique intégré (producteur, transporteur, fournisseur): création de l'ARENH au bénéfice de fournisseurs alternatifs, suppression des TRV pour les grandes et moyennes entreprises, création du marché de capacité (pour gérer les pointes).

[3]  La part variable TTC des TRV (tarifs régulés de vente) des consommateurs français résidentiels passant de 132,9 €/MWh en août 2013 à 227,6 €/MWh en août 2023, soit +71% (source CRE, Commission de Régulation de l’Énergie).

[4] Autorité de la Concurrence-Avis n°22-A-03 du 25/2/2022- §145

[5] Les boucliers tarifaires ont eu comme objectifs de contenir la hausse des prix de l'électricité à +4% en 2022 et +15% en 2023 pour les particuliers.

[6] European Commission, Study on energy prices, costs and their impact on industry and households, 2020,  https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/16e7f212-0dc5-11eb-bc07-01aa75ed71a1/language-en, p.71 et 289.

[7] Marcel Boiteux, revue Futuribles-n°331-Juin 2007-https://www.futuribles.com/les-ambiguites-de-la-concurrence-electricite-de-fr/

[8] Photovoltaïque 56 grammes de CO2/kWh; éolien 14 gCO2/kWh; nucléaire 4 gCO2/kWh (sources: Centre Commun de Recherche de la CE; Ademe)

[9] https://www.publicpower.org/resource/retail-electric-rates-regulated-and-deregulated-states-2021-update